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Octobre 2015

Rêver de fouler une terre que l’on m'a contée à travers les récits de Shackleton, Amundsen et autre Charcot, mais un jour … ce songe devient palpable. Après une batterie d’examens médicaux et tests psychologiques permettant de savoir si mon corps ainsi que mon esprit supporteraient la rudesse du grand sud, après des semaines de formation pour me préparer à la vie australe, m'y voilà. Octobre 2015 : le grand départ. Les émotions vacillent entre l’excitation d’une aventure sans commune mesure et la peur de l’inconnu, entre la joie de découvrir un monde nouveau et la tristesse de délaisser ceux qu’on aime.

Direction la Tasmanie et sa capitale Hobart où attend notre navire, l’Astrolabe, brise-glace assurant les liaisons avec la base française Dumont d’Urville. La réputation de ce bateau n’est plus à faire, surnommé le Gastrolabe, la description des expériences nauséeuses et des roulis incessants de ce navire sans quille laisse plutôt songeur.

Il faudra 12 jours à l'Astrolabe pour parcourir les 2700 km nécessaires pour atteindre les latitudes 66°.

12 jours de tempêtes à braver une mer déchainée et des creux de plusieurs dizaines de mètres. Un dicton de marins dit : « sous 40 degrés de latitude, il n’y a plus de loi, mais sous 50 degrés il n’y a plus de Dieu ». Le bateau a dû être béni des dieux tant il se montre résistant face aux assauts de l’océan. 12 nuits à être secoué de part en part dans sa couchette par un balancement qui gagne en intensité au fil de la traversée, le bruit de sacs et de poubelles qui font des va-et-vient dans la cabine, celui des portes qui claquent, de la vaisselle qui casse, des métaux qui s’entrechoquent, du bateau qui craque, du grondement du moteur accompagné de l’odeur de fuel. Un environnement où le sommeil est dur à trouver.​

Peu importe, le spectacle est déjà au rendez-vous. Un cortège d’oiseaux nous accompagne pendant notre traversée, ces oiseaux semblent s’amuser de l’océan : pétrels, puffins, océanites, et albatros. L’Albatros, quel chance de pouvoir contempler cette espèce emblématique dans de telles conditions. L’oiseau des tempêtes par excellence. Il manie ses 3m d’envergure avec une facilité déconcertante. Il se faufile entre les vagues, les effleure, les anticipe et tout cela sans un battement d’aile, comme s'il se jouait des éléments .

Et un matin, tout se calme. La température chute radicalement. La neige tombe. Un premier glaçon apparaît sur l’eau, puis plusieurs, et enfin nous entrons dans un amas compact de plaques de glace à travers lesquelles le bateau doit se frayer un chemin. Puis viennent les premiers icebergs, véritables géants de glace, et les premiers manchots. L’Antarctique n’est plus très loin, on vit un rêve éveillé.

Novembre 2015

Après ce long périple, j'ai enfin foulé la partie est de l’Antarctique et plus précisément une île du nom de l’île des Pétrels située à cinq kilomètres du continent Antarctique. C’est sur cette île que se trouve notre base de recherche, la base Dumont d'Urville. L’archipel regorge de vie à notre arrivée, les bâtiments de la base sont disséminés entre les colonies de Manchot Adélie et autres espèces d’oiseaux. On se familiarise avec les lieux, avec les personnes présentes, avec cet environnement si atypique. Pas un arbre, pas une brindille d’herbe dénote de ce blanc immaculé, la fracture visuelle est conséquente. Un monde de glace et de neige nous accueille, notre monde pour les 15 mois à venir.

Les corps tolèrent doucement le froid prenant qui règne sur ce territoire. Les découvertes sont quotidiennes et l’adaptation se fait au fur et à mesure des découvertes.

Mars 2016

L’été Austral commence à s'éteindre, le froid devient de plus en plus incisif. Les vents forts font danser la neige de plus en plus régulièrement. La banquise disloquée les mois durant se reforme sous l’action des températures négatives pour ne former qu’un tapis de glace. Elle deviendra bientôt trop conséquente pour que l’Astrolabe puisse accéder à la base Dumont d’Urville. Le brise-glace entame donc sa dernière rotation et décharge de ses cales les provisions qui nous permettrons de vivre les 9 prochains mois en autonomie complète. L’Astrolabe disparait à l’horizon, emportant avec lui les dernières personnes venues le temps d’un été, on ne le reverra pas de sitôt. L’heure de l’isolement est donc arrivée pour nous, nous ne sommes plus que 24 personnes pour affronter l’hiver austral, 24 membres d’une même famille, la TA66. Nous allons rester seuls pendant 9 mois à présent, totalement isolés du monde extérieur et sans possibilité de retour au monde soit disant ‘civilisé’.

Il est temps aussi pour l’ensemble des espèces venues se reproduire sur l’archipel de prendre le large et de fuir l'hiver qui arrive à grand pas. L’archipel se vide littéralement, la cacophonie et l’agitation cesse, seul le bruit du vent se fait entendre. Transition brutale, on entre encore une fois dans un monde nouveau.

Puis à l’horizon on distingue l’arrivée des immenses colonnes de Manchot Empereur venant donner la vie au cœur du froid antarctique. Quel spectacle de voir ces animaux luttant face à de telles conditions. La plupart de mes clichés sur les empereurs ont été tirés durant cette période hivernale véritable hymne à la survie, quand la lumière le permettait car les nuits deviennent quasiment permanentes durant plusieurs semaines.

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C’est également l’heure des aurores australes véritables balais lumineux qui vacillent entre les étoiles à un rythme effréné.

Passer un hiver en Antarctique fait vraisemblablement partie des expériences les plus extraordinaires qui m'est permis de vivre, la nature montre son état le plus brut, sans filtre, aucun détail n’est ignoré, tout est majestueux, un mélange de force incroyable et de splendeur difficilement explicable…

Novembre 2016

Phénomène inverse, le vent faiblit et les rayons du soleil réchauffent très légèrement ce monde de glace, l’été austral pointe à nouveau le bout de son nez. La banquise diminue petit à petit et laisse l’opportunité à l’Astrolabe d’atteindre la base Dumont D’Urville pour une nouvelle série de rotations.

Un manchot Adélie, perdu au milieu de tout ce blanc traverse la banquise, décidé. Il n’a qu’un seul but en tête, il s’empresse de rejoindre son tas de cailloux récolté les années précédentes et qui constituera une fois de plus son nid pour la saison à venir. Plus qu’à attendre patiemment le retour de sa partenaire mais également des querelles incessantes avec les milliers d’autres manchots qui vont s’établir à leur tour dans leurs colonies respectives. Le balai incessant des allers et retours de ces individus vont redonner vie à une banquise languissante. Le ciel va lui aussi se barioler d’oiseaux aux couleurs froides comme leur environnement. Au loin, on entend un petit phoque de Weddell appeler sa mère pour sa pitance régulière.

Pour moi, ce nouvel été vient me rappeler que mon temps en Antarctique est dorénavant compté.

Janvier 2017

C’est donc un 22 janvier que des adieux poignants ont eu lieu et qu’un hélicoptère m'arracha brutalement du continent Antarctique. Un dernier survol du glacier sonne comme un dernier au revoir. Profiter jusqu’au bout des merveilles qu’offre cette terre, un véritable deuil à mes yeux. En quelques minutes nous survolons cet immense oasis des glaces, qui de là-haut me semble si petit et si fragile. Le cœur est lourd car malgré sa violence et sa dureté, l’Antarctique m'a offert pendant plus d’un an ses facettes les plus pures, ce continent s’est entièrement dévoilé, chaque détail m'aura émerveillé, chaque moment m'aura fasciné. L’impression de vivre ces choses pour la première fois mais aussi probablement pour la dernière fois, c’est peut-être ce sentiment qui rend cette expérience d’autant plus intense. Le pied posé sur le bateau, l’aventure prend soudainement fin. A cet instant une profonde nostalgie m'envahit déjà. Puis c’est le retour à notre monde d’origine, un monde dans lequel on doit réapprendre à vivre. Un monde avec qui on a envie de partager notre expérience, tous ces moments uniques et extraordinaires. Témoigner de l’extrême fragilité des beautés dont regorge ce continent blanc.

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Cette expédition a été permise grâce à l’Institut polaire français Paul-Emile Victor. Cette institut est chargée de la mise en œuvre de la recherche française dans les régions polaires. Pour plus d'information cliquez ici

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